Guantánamo Kid – L’histoire vraie de Mohammed El-Gorani

Guantánamo Kid
L’histoire vraie de Mohammed El-Gorani

Le destin d’un enfant sacrifié sur l’autel de la lutte anti-terroriste

Il y a longtemps que la bande dessinée s’est taillé une place au sein de la littérature, de l’art et des médias en général. Loin de Mickey ou Bécassine, la bande dessinée documentaire, biographique, polémique voire politique, en prise avec le réel et les grandes questions de notre temps a pris ces dernières années un essor considérable. Elle n’intéresse pas seulement les jeunes, mais permet au grand public d’aborder des sujets graves, ardus, pointus, sous une forme moins impressionnante qu’un essai. Et les auteurs de bande dessinée, du moins les meilleurs, savent mettre leur art au service d’un propos engagé, motivé, riche de sens et très sérieusement documenté.

C’est le cas pour cet opus, publié en mars 2018 par les éditions Dargaud. Fruit des rencontres multiples de Jérôme Tubiana, journaliste et chercheur indépendant, avec Mohammed El-Gorani, le récit de cette vie saccagée est mis en images avec simplicité et talent par Alexandre Franc, dessinateur éclectique et auteur d’une dizaine de bande dessinées.

Le destin de Mohammed El-Gorani est à peine croyable. Il est pourtant représentatif des excès et des effets pervers de la politique généralisée de lutte contre le terrorisme, et doit nous alerter sur les risques majeurs des politiques de sécurité de nos Etats, souvent plus soucieux de leur image et de leur clientélisme que de la vie de leurs citoyens – a fortiori ceux des habitants de leurs pays qui ne peuvent pas prétendre à une citoyenneté pleine et entière.

Fils et petit-fils d’immigrés tchadiens en Arabie Saoudite, Mohammed El-Gorani a 14 ans à peine quand il part au Pakistan à l’insu de ses parents pour étudier et se forger un avenir meilleur que celui qui s’offre à lui, petit vendeur de rue à la sauvette, exclu des cursus d’études saoudiens en tant qu’étranger. Il veut apprendre l’anglais et l’informatique. Mais l’Histoire va bouleverser sa vie et ses rêves. Car il se retrouve au Pakistan en septembre 2001, à l’heure où le monde bascule dans la « guerre contre le terrorisme » et où l’accent saoudien est des plus suspects, même pour un africain. Au mauvais endroit au mauvais moment, il est arrêté à la sortie d’une mosquée par la police pakistanaise, interrogé et torturé, puis vendu 5000 $ à l’armée américaine qui l’embarque pour un premier camp à Kandahar, en Afghanistan, puis pour la base toute neuve de Guantánamo, à Cuba. A cause d’un passeport qui mentait sur son âge, il a toujours été considéré par les autorités américaines comme un adulte, interrogé et torturé sans relâche. Il fut pourtant le plus jeune détenu de Guantánamo à être resté emprisonné au-delà de 2004. Au total, il a passé 8 ans dans la prison américaine basée à Cuba, plus d’un tiers de son existence à l’époque. Et ses tourments n’ont pas pris fin à la sortie du camp, car un « ancien de Gitmo » ne peut jamais se défaire de cette étiquette honteuse et suspecte. Les Etats ne se pressent pas pour accueillir ceux qui en sortent, fussent-ils leurs propres citoyens. Et Mohammed El-Gorani n’était pas citoyen saoudien, là où il était pourtant né. Depuis son retour sur le sol africain, son existence n’est qu’un long exode, comme l’expliquent les notes récentes qui concluent le livre.

Pourtant, durant toutes ces années, endurci par les coups, les mauvais traitements et les injustices, Mohammed El-Gorani n’a cessé de se battre pour ses droits, pour le respect de sa dignité, avec un courage remarquable. Le livre ne le présente pas comme une victime soumise et résignée, ni comme un « bon sujet ». Il dit sa révolte violente, son insoumission brutale. Il dit aussi sa lucidité, sa reconnaissance envers les bons gardes et les co-détenus qui l’ont aidé à tenir. Il raconte l’adolescence rebelle d’un garçon qui avait toutes les raisons de l’être, et qui s’est construit dans l’adversité la plus totale. Il montre l’humanité d’un homme qui a réussi – par quel miracle ? – à ne pas se laisser engloutir par la haine, la colère, la violence. Son désir de vivre, sa volonté farouche à faire sa vie là où il est avec ce qu’il a, sa foi sans doute lui ont permis de rester debout, envers et contre tout.

Il faut lire son histoire, pour savoir, pour se rappeler l’importance de lutter pour ceux que certains voudraient faire oublier – c’est tellement plus facile pour nous que pour eux, et c’est bien le moins que nous puissions faire – mais aussi pour reprendre courage et espoir en l’être humain, capable de vivre et de construire un avenir même après avoir été brisé.

Cécile Thill

Guantánamo Kid, scénario de Jérôme Tubiana, dessins d’Alexandre Franc, éditions Dargaud.
Album soutenu par Amnesty International. Sorti le 16 mars 2018. ISBN 9782205077681.

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